Mission reussie
La cohabitation agitée de Woo et de Cruise fait des éclats.

Le mercredi 26 juillet 2000

 

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photo PARAMOUNT PICTURES

  «Mission: Impossible 2», réalisé par John Woo, apparaît comme un film de Tom Cruise, qui l'a produit.

Sur le papier, la rencontre au sommet Cruise-Woo est certainement ce que l'on pouvait faire de plus excitant dans le domaine du cinéma d'action flamboyant, sexy et néanmoins terriblement intello. D'abord parce que John Woo, même ceinturé par les exigences du système hollywoodien, continue d'explorer les puissances vertigineuses du mouvement dans ses formes les plus tourmentées et explosives. Ensuite, parce que Tom Cruise n'a de cesse depuis une dizaine d'années ­ son association avec la productrice Paula Wagner semble à cet égard décisive ­ de donner à sa carrière de star Ultra Brite un éclat presque aveuglant, sculptant d'un film à l'autre sa propre statue de demi-dieu vivant.

On sait, depuis, que les noces Woo-Cruise ont souvent été au bord de la rupture (malgré les dénégations diplomatiques de John Woo dans l'entretien ci-contre). C'est l'acteur qui, en tant que producteur, a appelé le cinéaste pour diriger le deuxième épisode. C'est Cruise qui, après maints crêpages de chignon contractuellement étouffés, a gardé la haute main sur le final cut. Autant Volte/Face était clairement un film de John Woo, avec ce que cela implique de sophistication conceptuelle et de folie autodestructrice, autant M: I 2 apparaît comme un film de Cruise, dont il bénéficie du savoir-faire.

A feu et à sang. On peut évidemment être désappointé par cette tournure du rapport de force. Reste que le film regorge de séquences géniales, dont on peine à voir les équivalents dans le gros des mégaproductions en général et dans le film d'action en particulier. Après deux heures de projection, on a mal à la tête, aux yeux, aux mollets, comme après avoir ingéré une drogue aux effets dévastateurs, bloquant les indicateurs biologiques, stress, libido, tension musculaire, à feu et à sang.

Si Hollywood avait du cran, c'était l'occasion de cramer 100 millions de dollars de budget dans un film vraiment expérimental. On aurait vu la star échappée de la cellule de contention Eyes Wide Shut, ivre de narcissisme, athlétique et racée, se battre contre un ennemi invisible, la terre entière et personne, l'ombre qui cherche à l'éclipser, les saccades du temps, les dilacérations du montage. L'agent secret Ethan Hunt aurait pu, aurait dû, devenir ce bolide lancé à toute vibure dans l'aventure de sa propre disparition. Une aventure que Woo aurait chorégraphiée magnifiquement en transes nijinskiennes. A la place reste un scénario pompé maladroitement sur le Notorious de Hitchcock.

Nous sommes en Australie, échauffement préolympique oblige. Hunt est chargé de séduire Nya Hall (l'exquise Thandie Newton), afin de la convaincre de retourner auprès de son ex, Sean Ambrose, et de contrecarrer ses plans de domination du monde via un terrible virus. Entre Hunt et Hall, le coup de foudre est immédiat, la mission se double alors d'un enjeu amoureux imprévu. La rivalité entre l'agent secret et le criminel ne s'articulera donc plus seulement sur l'axe du bien et du mal, mais à travers le registre de la possession jalouse de l'être aimé.

Bien coiffé. Le bât blesse précisément dans le face-à-face cruel entre Hunt et Ambrose (le pâle acteur écossais Dougray Scott). Il ne fait aucun doute que Cruise l'a choisi parce qu'il ne représente en rien une menace pour lui. Et tout le film est ainsi démeublé du moindre rival. Pas un homme, d'ailleurs, à plusieurs kilomètres à la ronde qui ait la chance d'exister plus que lui dans le champ. Tout le monde est plus vieux, moins beau et moins bien payé que le tyran charismatique accrochant son sourire carnassier au fronton du moindre plan.

Cette domination du héros fait perdre au récit une bonne part de sa dynamique. Fort heureusement, celle-ci se récupère ailleurs, quand Woo s'abandonne à la maestria confondante de son style. Par exemple dans la première demi-heure, où le réalisateur ne brille pas seulement dans la captation révulsée des cascades ou des courses-poursuites, mais aussi dans une scène de drague sur fond de flamenco digne de Max Ophuls. Autre vecteur d'énergie, Cruise lui-même, qui n'a quasiment pas été doublé dans les nombreuses cascades, où il fait montre d'une agilité physique peu commune... En plus, une technicienne cheveux a personnellement veillé à ce qu'il reste toujours bien coiffé, quelle que soit sa posture.

Aspro. Le télescopage des figures (bonds, torsades, sauts dans le vide...), l'indistinction effrayante et délicieuse des repères (haut et bas inversé, la chute transmuée en ascension et vice versa), la furie dionysiaque déformant l'espace et les gestes, Mission: Impossible 2 libère et déploie un spectacle assourdissant pour une population en mal de stupeur, entre messe techno-cosmique et Walpurgis-digitaloïde. Prévoir un 100 mètres dans une piscine d'Aspro après la séance. La méthode de percussion sonore et visuelle de Woo fait encore des étincelles, et il accomplit à nouveau la formule du marquis de Sade décrivant l'inspiration poétique: «Secret pour opérer un tremblement de terre»!.

DIDIER PÉRON


Le réalisateur John Woo réalise son quatrième film américain:
«Mon cœur reste à Hong-kong»

John Woo a plus d'une corde à son arc. Scénariste, réalisateur, producteur et accessoirement acteur, il a failli devenir prêtre avant d'œuvrer successivement dès 1969 aux trois grands studios de Hong-kong (la Cathay, les Shaw Brothers et la Golden Harvest). Il a participé à la success story de la compagnie indépendante Cinema City à l'aube des années 80, avant d'affirmer son mélange détonant de film noir et de kung-fu avec le Syndicat du crime, The Killer ou Une balle dans la tête, et d'émigrer outre-Pacifique il y a huit ans. En 1951, Wu Yusen fête à peine son cinquième anniversaire quand il abandonne Canton avec sa famille pour fuir le communisme. A Hong-kong, son père mourra de la tuberculose et le futur John Woo échappera à la misère en faisant ses études chez les jésuites au collège Matteo-Ricci, grâce à l'aide d'une famille américaine. La culture de l'Oncle Sam ne lui a jamais été vraiment étrangère. C'est sans doute une des explications de son adaptation et de ses succès hollywoodiens, à la différence de son ami Tsui Hark. Après un Van Damme (Chasse à l'homme), Broken Arrow et Volte/Face, Mission: Impossible 2 est son quatrième film américain. Entretien parisien.

D'où vient votre goût pour le cinéma français des années 60?

Les films français étaient très populaires à l'époque à Hong-kong. Spécialement ceux de la Nouvelle Vague. On adorait Melville, Alain Delon, Jean-Paul Belmondo... Il était venu tourner les Tribulations d'un Chinois en Chine. Une des cascades nous avait bluffé. Belmondo escaladait les échafaudages d'un gratte-ciel en bambous, c'est la première fois qu'on voyait ça.

Tom Cruise n'est pas cascadeur. Est-ce que cela vous a limité pour l'élaboration des scènes de cascades et de combat?

Tom n'a jamais appris les techniques des arts martiaux, mais il adorait les films de Bruce Lee et de Jackie Chan. Pour ce film, cela nous servait de repère. Tom est un acteur réaliste, il colle à l'histoire et au personnage. Dans Mission 2, il doit sauver une jeune fille dans un état d'urgence. J'ai donc pensé qu'il devait autant jouer sur l'émotion que sur la performance physique. Mais il a vraiment fait la majorité des cascades.

Est-ce qu'il s'est beaucoup entraîné pour le rôle?

Non, il est très agile. Il regardait la démonstration des cascadeurs et fonçait. Il s'élançait, prenait appui sur un petit trampoline, s'élevait pour donner un coup de pied chassé et frappait son ennemi. J'ai dû le calmer pour certains plans.

Un acteur comme Jackie Chan peut exécuter toute une chorégraphie martiale, pas Tom Cruise.

Oui, mais c'est moi qui fixait le rythme exact de la chorégraphie. Le cascadeur l'exécutait d'abord et Tom devait la reproduire. C'est un acteur habité par ce qu'il joue, qui travaille à ressentir les émotions de ses personnages. Alors, quand il se bat, il cogne vraiment dur. Jackie Chan aurait certainement mieux contrôlé ses coups.

Avez-vous imaginé le film en pensant réussir deux ou trois scènes inédites?

Oui, le duel à moto, l'escalade, la poursuite en voiture. Et puis la scène où Tom tue le scientifique, quand il retire son masque et qu'on s'aperçoit du subterfuge.

Avez-vous travaillé sur le script?

Oui, sur l'histoire, le ton. Quand Tom m'a proposé ce projet, j'ai été très surpris, parce que je n'ai jamais aimé l'idée des suites. Je lui ai dit que Brian De Palma était un tel styliste, que je ne me voyais pas faire mieux. Mais Tom tenait à ce que ce nouveau Mission: Impossible soit différent. Je lui ai dit que je n'étais pas un fou des effets spéciaux, que je préférais le cinéma d'émotion au pur high tech, que j'avais envie de faire un film d'amour et non pas un simple film d'action à la James Bond. En fait, Tom et moi voulions que Mission 2 soit un hommage à Hitchcock. Nous adorons les Enchaînés, peut-être le plus romantique de tous. Tom et Robert Towne, qui a passé huit mois à écrire le scénario, s'en sont inspirés pour développer le récit.

Est-ce que Tom Cruise est très directif comme producteur? Son apparence physique, sa coupe de cheveux par exemple, est-ce votre idée ou la sienne?

Plutôt la sienne. Je voulais qu'il ait l'air séduisant. Son personnage est amoureux, dégage une énergie juvénile, les cheveux longs dans le vent collent bien avec cette image romantique. Les cheveux longs de Thandie Newton, c'était mon idée. Je voulais qu'elle soit sexy.

Avez-vous eu des conflits avec Tom Cruise sur le film?

Jamais. En tant qu'acteur, il est très professionnel et décidé à suivre mon point de vue. Chaque fois qu'il a eu des exigences de producteur et souhaité un changement, il m'a toujours consulté. Si je n'aimais pas son idée, il l'abandonnait. On a travaillé comme des amis, en équipe. En fait, il est très humble et me témoignait beaucoup de respect. C'est un homme sans ego. Nous nous sommes seulement disputés à propos des cascades. La scène de l'escalade par exemple, il insistait pour la faire lui-même. Il l'a refaite au moins sept fois, jusqu'à ce que la prise soit parfaite. On s'est accroché aussi à propos du combat de kung-fu, parce qu'il ne maîtrisait pas réellement cette technique. Si on saute, qu'on fait un flip en l'air et que le timing n'est pas parfait, on peut se casser le cou.

Après Nicolas Cage, John Travolta et Tom Cruise, quels autres acteurs américains souhaitez-vous diriger?

Harrison Ford, Brad Pitt, Robert De Niro, George Clooney, Mel Gibson...

Souhaitez-vous faire un film américain avec Chow Yun-fat?

Je suis en train de le préparer. Il s'appelle The Bullet Proof Monk. C'est l'histoire d'un moine qui pratique à la fois le kung-fu et la philosophie. Un gars très spirituel. Je prévois aussi un autre film sur des terroristes, où il jouerait un agent du FBI. Je m'y mettrai après mon prochain projet, Wind Talkers, un film sur la Deuxième Guerre mondiale. Face aux Japonais, les US Marines utilisaient des Indiens Navajos pour communiquer des messages secrets. Ils se servaient de leur langue comme d'un code, parce qu'elle n'a jamais été écrite. Donc chaque interprète avait un protecteur américain. Je raconte la relation de deux d'entre eux qui apprennent à travailler ensemble malgré leurs différences et deviennent amis. L'un d'eux se sacrifie pour sauver l'autre. Ce n'est pas un film sur les tueries, mais sur la rencontre de deux cultures, celle des Blancs et celle des Indiens.

Est-ce que Ti Lung est le modèle de Chow Yun-fat?

Ils se situent tous les deux en dehors des modes. Ti Lung incarne le héros impeccable, très digne et altier. Ils partagent la même élégance. Chow Yun-fat est à la fois très traditionnel et novateur.

Au début des années 70, aux Studios Shaw, quand vous étiez assistant de Chang Cheh (réalisateur de la Rage du tigre et l'un des plus prolifiques de l'âge d'or des Studios Shaw), préfériez-vous Ti Lung, David Chiang ou Chen Kuan-tai, ses acteurs fétiches?

Mon idole était David Chiang. On était très bons amis. Comme j'étais pauvre, il me laissait dormir chez lui. J'aimais aussi Ti Lung. Une anecdote: à cette époque, la production me demandait d'expliquer aux comédiens ce que Chang Cheh attendait d'eux. Je me lançais dans des démonstrations, me roulais par terre, exécutais des tas de figures approximatives, mais avec les émotions justes, et les acteurs m'applaudissaient... Ce qui m'a valu l'amitié de David Chiang et Ti Lung. Dans un film, ils ont eu l'idée de me faire jouer un mauvais garçon, à cause de mon cirque. Ils ont tout mis en place pour que je fasse un essai. Chang Cheh est arrivé. Il a tout arrêté. Ils ont protesté, mais Chang Cheh a tranché: «Non. John Woo devrait se consacrer à la réalisation.» Je n'en avais jamais rêvé.

A-t-il été un maître pour vous?

Absolument. Mais aussi King Hu (réalisateur de A Touch of Zen et Raining in the Mountain). Il avait une technique visuelle plus impressionnante. Chang Cheh est plus classique, ses films sont moins sophistiqués. King Hu réglait chaque détail avec la minutie d'un peintre. Ses personnages en revanche étaient moins émouvants.

Aujourd'hui, vous sentez-vous davantage américain que chinois?

Je suis américain. Mais je porte toujours Hong-kong dans mon cœur. C'est un endroit où convergent beaucoup de cultures, où on peut apprendre sans cesse. Mais je regrette que l'esprit de compétition y soit exacerbé. On apprend aux Hongkongais à toujours se battre pour être numéro 1. La compétition est trop sévère. Tout le monde se compare aux autres en permanence. Si on échoue une seule fois, on perd toute crédibilité, on n'existe plus. C'est pour ça que j'aime vivre en Occident, je peux passer plus de temps avec ma famille et me concentrer sur mon travail. Hollywood est un endroit ouvert à toutes sortes de projets. Il n'y a pas de hiérarchie entre les genres, alors qu'à Hong-kong, le marché se restreint à l'action ou la comédie. Du coup, tout le monde fait la même chose.

Recueilli par FRANÇOIS ARMANET
et JEAN-MARC LALANNE

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